Adopter son propre fils

brangelina

J’ai deux enfants. Deux fils. Le premier a eu trois ans cet été et vient de rentrer à l’école, et le second fêtera ses deux ans en Février. Ils sont blonds tous les deux, mignons tous les deux, fatigants parfois, tous les deux aussi. Ah oui mais j’oubliais, le second n’est encore pas officiellement mon fils. C’est l’inverse de France Gall pour le coup, c’est un détail pour moi mais c’est pour les autres que cela peut vouloir dire beaucoup.

Officiellement, il n’est donc pas, encore, mon fils. C’est ma compagne qui l’a porté, enfin dans son ventre je veux dire, parce que depuis je le porte à peu près aussi souvent qu’elle. Nous nous sommes mariées il y a quelques mois comme je l’ai raconté ici.
« Mais alors, c’est ton fils maintenant?? » comme le disent parfois des collègues. Alors je reprends « Non cela a toujours été mon fils oui ça c’est une certitude, mais officiellement non, cela n’a rien changé » « Ah bon???? » (réplique la plus courante). Bah non. Rien. Entre lui et moi je veux dire.

Dans notre relation a tous les deux, lui et moi, cela n’a rien changé du tout, ça c’est sur. Il me fait toujours autant rire quand il se cache derrière son doudou même si c’est la 124ème fois qu’il le fait et m’énerve toujours autant quand il décide d’étaler sa purée sur toute la surface de la table. Et dans notre lien « officiel » non plus, si ma chérie, que dis je, ma femme meurt (je touche du bois), il n’a aucun lien avec moi. Il sera officiellement relié à ses grands parents maternels, qu’on adore hein, mais pas à moi. Bah non.

Alors la loi Taubira en soi n’a rien changé à cela, elle a ouvert une porte, et cela ça veut dire beaucoup. Depuis que nous sommes avec sa mère, deux honnêtes femmes mariées, nous avons le droit d’adopter, des enfants du monde entier si le monde veut bien de nous, un peu à la Brangelina, ou plus simplement d’adopter nos propres enfants. Elle, le grand et moi le petit.

Donc on va faire ça. Adopter nos propres enfants. Cela passe donc par le mariage, ça s’est fait. Puis par le dépôt devant notaire d’un consentement à l’adoption. C’est à dire que elle et moi, on va aller voir notre notaire préféré (il nous adore parce qu’il dit qu’on lui fait toujours faire des trucs nouveaux qu’il a jamais fait) et en gros dire « Ok je veux bien qu’on reconnaisse enfin les droits de ma compagne sur « mon enfant »…qui est en fait le notre depuis le début mais bon ».

Après on va attendre deux mois, délais légal pour que si jamais on décide que non en fait on veut pas, que par exemple, ma femme décide qu’elle a changé d’avis, que finalement elle préfère pas que j’adopte son/mon fils et de le laisser dans une situation précaire en cas de problèmes (séparation, mort dans d’atroces souffrances, tout ça, tout ça). Donc je me tiens à carreaux, je voudrais pas que si je laisse trainer mes chaussettes elle change d’avis…

Ensuite on ira voir un juge. Oui, oui, un juge. Avec surement un avocat à qui on aura expliqué le shmilblick. J’aurais rassemblé tout plein de documents qui font bien, des témoignages de notre entourage, la directrice de crèche qui dira que oui je viens bien chercher mon fils à l’heure tous les jours, la pédiatre qui dira que lors des nombreux nombreux microbes qu’il a testé, c’est indifféremment moi ou ma femme qui l’a accompagné (sauf que j’étais bien sur, beaucoup moins stressée évidemment). Plein de choses qui disent que je suis une « bonne » personne, enfin « bonne ».. imparfaite certes comme tout le monde, mais plutôt équilibrée quand même. On verra, je poserais tout sur la table, devant le juge et je verrais s’il estime, s’il « juge » que je peux être maman. De mon fils.

Je lui dirais que c’est moi qui ai écrit la lettre pour relancer la clinique belge. Le jour de l’anniversaire de celle qui deviendra ma femme officielle mais qui était déjà ma femme (vous suivez?). Je lui avais offert 26 cadeaux, dont cette lettre, toute prête, timbrée, qui disait en résumé « Coucou les gars, on a bien aimé le lardon que vous nous avez aider à faire il y a 11 mois, et on est suffisamment inconsciente pour vouloir remettre ça ». Et je lui ai dit « Whenever you’re ready ».

Je lui dirais que j’étais là, tout le temps, à la conception dans cette ville de Bruxelles que j’adore et dans l’avion du retour. Je lui dirais que c’est moi qui ai lu le test urinaire positif, très faiblement, que ma femme avait fait un peu tôt et qu’elle n’avait pas vu la petite ligne pâle apparaitre. Je lui dirais que j’étais là encore, à toutes les échographies, toutes les visites, que j’ai joué avec mon Mumble comme je l’appelais à l’époque tellement il bougeait les pieds comme dans le dessin animé Happy Feet, parfois même quand sa mère dormait et qu’on était que lui et moi.

Je lui dirais aussi que j’étais là quand il a ouvert les yeux pour la première fois, les mêmes que ceux de sa mère pour le coup, ses yeux que j’adore. Que j’étais là quand il a du être opéré en urgence à cinq semaines de vie, que je lui ai tenu la main, sa toute petite main dans la mienne, au milieu des gens déguisés en blouse et masqués, que je connais bien d’habitude mais que là non, j’étais juste une maman comme tant d’autres, que je faisais face pour lui, que je le rassurais en lui caressant la tête à travers les barreaux froids du lit, et que j’éclatais en pleurs dans le couloir derrière la porte.

Si le juge me demande si je ne le prive pas d’un parent, comme on l’entend parfois, je lui dirais que non, je ne le prive de rien. Mon fils n’a pas de papa. C’est un fait. Je sais que ça chagrine certains qui disent qu’on a tous un papa mais non c’est pas vrai. Mon fils, mes fils, n’ont pas de papa. Ni maintenant, ni plus tard. Ils ont deux parents, deux mamans, un gentil monsieur qui nous a aidé, qui a « donné » ce petit grain magique qui nous a permis de faire nos enfants, mais qui n’est pas leur papa. Je ne vole la place de personne, j’essaie juste de reprendre la mienne.

Peut être que le juge demandera une enquête sociale, une enquête de police et la visite de travailleurs sociaux chez nous. Si, si, c’est fort probable. Alors je rangerais bien, je laverais les recoins, même le petit rebord sous la plaque à induction qu’on oublie toujours. Je trierais mes revues qui traînent, cacherais mon exemplaire de Beautiful Bastard et l’intégrale de Lip Service pour faire bonne figure. Je laisserais bien Télérama sur la table basse mais l’abonnement est fini, je l’ai remplacé par L’Equipe Mag, je remplace? ça peut être la petite touche masculine dont les enfants ont forcément besoin non?

Si le juge me demande en quoi c’est mon fils, au delà de tout ce que je viens déjà de dire, et je trouverais surement encore plein d’autres choses d’ici là, je lui dirais qu’on a peut être pas de lien génétique mais qu’il a hérité de mon sale caractère buté d’insupportable sale gosse et du même sourire charmeur qui fait qu’on se fait très vite tout pardonner.
Je pourrais aussi lui dire de le regarder, lui. De voir combien il a l’air pas trop mal dans ses Babybottes qui coutent un bras, et comment il saute indifféremment dans les bras de l’une ou l’autre de ses mamans.

Alors, avec tout le respect que je lui dois, à monsieur le juge, j’espère qu’il rectifiera vite ce « petit détail » officiel qui nous sépare encore lui et moi. Sinon il aura certainement deux grosses colères sur les bras, et si j’étais lui, je préférerais éviter…