Vos bâtards

« Vos bâtards  »
C’est comme ça qu’elle a appelé mes enfants, elle, là, cette inconnue qui est venue comme ça commenter les photos de famille que j’avais posté dans le cadre de l’opération #despaillettesdansnosvies lancée par les Enfants d’Arc en Ciel, l’asso pour soutenir l’ouverture de la PMA à toutes les femmes.
6 photos commentées pour ne rien dire, juste pour le plaisir de rabaisser et d’humilier mes enfants, ma famille.
Par souci de l’intérêt des enfants, sans doute, puisqu’il paraît que c’est leur motivation.

« Vos bâtards »
Bouffée de colère, de rage même, vis à vis de cette femme, et par la même occasion tous ces autres qui nous insultent quotidiennement, qui nous menacent parfois aussi, à l’abri derrière leur écran.
Celle-ci ne se cachait même pas derrière un pseudo, contrairement à d’autres.
Ça m’a encore plus choquée, parce que ça montrait à quel point elle se sentait en droit de nous insulter.
À quel point cette parole haineuse est décomplexée.
À quel point ces gens se sentent tout-puissants, au dessus des lois.
À quel point depuis 7 ans, les dérives des pseudo-débats sur le mariage pour tous et l’hyper-médiatisation de la « manif pour tous » leur ont donné ce sentiment d’avoir toute latitude et toute légitimité à tenir des propos intolérables.

C’est logique finalement.
C’est logique quand des élus de la république, qui à ce titre se doivent pourtant d’être exemplaires, peuvent se permettre impunément de tenir des propos discriminatoires, dans l’enceinte même des institutions qui font nos lois : comment pourrait-on s’attendre à ce que ceux qui n’ont aucun devoir d’exemplarité ne se sentent pas autorisés à en faire autant ?

Et que dire des médias qui se complaisent à tendre leurs micros à des extrémistes, relaient ad nauseam leurs arguments odieux, et reprennent l’ air de rien leurs éléments de langage rances, sans prendre la peine de contredire ces gens en confrontant leurs fantasmes à des chiffres, à des faits, à des études sérieuses pourtant facilement accessibles à qui veut bien se donner la peine de faire un minimum son travail de journaliste…
Ah, elle a bon dos, la liberté d’expression, mais elle ne dispense pas du respect de la loi.
Les propos homophobes, racistes, révisionnistes, les appels à la haine, ce sont des délits. Les laisser s’exprimer librement à l’antenne, ce n’est pas garantir la liberté d’expression, c’est juste participer activement à la diffusion d’idéologies fascisantes, et se rendre complice de tous les actes de violence qu’elles entraînent.
Mais peu importent les conséquences, hein, tant que ça fait du buzz : l’essentiel est bien de gagner quelques points d’audience, tant pis si pour ça d’autres subissent des insultes, des agressions…
Au pire, on pourra toujours en faire un petit reportage, ça aussi ça fera de l’audience, surtout s’il y a du sang.

Oui, je sais, je m’égare, désolée, revenons-en à cette insulte-là, cette petite insulte ordinaire qui ne fera pas de buzz, une parmi tant d’autres dont personne n’entendra parler.
« Vos bâtards ».

Quand j’ai lu ça, au départ, j’ai eu envie de retrouver la raclure de bidet qui avait écrit ça, et de lui faire manger ses dents. Ouais je sais, c’est pas très bienveillant, mais ça défoule de l’imaginer. Et puis bon, je fais déjà des efforts pour être à peu près bienveillante vis à vis de mes enfants, je vais pas me taper la positive-attitude pour un troll.

Bref. Un temps, j’ai caressé l’idée de la traquer et de la retrouver pour lui faire ravaler ses insultes, façon Lisbeth Salander. Bon, assez rapidement, j’ai renoncé à mes fantasmes de vengeance, mes compétences informatiques me permettant tout juste de me connecter à ma box.
Brusquement, je me suis arrêtée, et je me suis demandé comment on pouvait en arriver là. Comment on pouvait en arriver à être tellement englué.e dans des préjugés haineux qu’on s’abaisse à insulter des enfants.
Je veux dire, l’argumentaire de ces gens, d’habitude, c’est qu’ils veulent protéger les enfants. De quoi, ça, mystère, mais c’est pas la question : il me semble assez évident que même avec des facultés de réflexion limitées on se rend compte assez vite qu’on ne protège pas quelqu’un en l’insultant. Le but ici est donc uniquement de salir et de blesser. De salir et de blesser des enfants, en l’occurence.

Faut-il donc avoir une vie creuse pour n’avoir rien d’autre à en faire que chercher des photos de familles de complets inconnus pour insulter leurs enfants… Faut-il avoir une vie laide pour en arriver à un tel degré d’amertume et de méchanceté…

Je me suis dit que pourtant, autrefois, cette femme avait été une enfant innocente, ouverte au monde et aux autres, avant que sa vie l’amène à devenir cet être méprisable qui attaque des enfants. Qu’elle aurait pu être une adulte bien différente si dans son enfance on lui avait inculqué des valeurs de respect de l’autre, d’ouverture, de partage. Que cette enfant avait dû elle-même être bien peu respectée et aimée pour ce qu’elle était, pour devenir une adulte si aigrie, si irrespectueuse des autres et si confite de méchanceté.

J’ai pensé à tous ces enfants dans les défilés LMPT, tous ces enfants qu’on conditionne à haïr ceux qui ne sont pas dans la norme édictée par leurs parents ou par l’église. J’ai pensé à tous ceux qui ont subi ces discours de rejet, qui se sont sentis obligés de les proférer aussi, tout en se sachant eux-même différents. Comment on se construit dans le rejet de soi ?

J’ai été triste de me dire que tous les enfants n’ont pas la chance qu’ont les notres de se savoir aimés tels qu’ils sont, sans conditions.
Pour autant, la compassion pour l’enfant n’empêche pas le mépris pour l’adulte : on peut avoir eu une enfance merdique et faire le choix de devenir quelqu’un de bien, devenir aussi bête et méchant, c’est donc aussi un choix.

J’ai commencé à lui répondre, en m’astreignant à rester parfaitement polie pour ne pas m’abaisser à son niveau. J’avais quand même envie de lui rappeler que la notion même de « bâtard » était obsolète. Qu’au delà du mot lui même (très connoté moyen-âge, il faut bien le dire), dans le droit de la famille la distinction entre enfants dits légitimes et naturels n’existe plus depuis de nombreuses années. Que ses conceptions étaient très datées années 70, et encore, du côté réac de l’époque (un peu comme ses notions de biologie, au vu d’un commentaire sous une autre de mes photos). J’avais envie de lui coller le joli papier peint assorti déniché par le GAGL45, le centre LGBT+ d’Orléans.

On m’a dit laisse tomber, ne lui fais pas le plaisir de réagir, c’est ce qu’elle attend.
Ignore-la.
Bloque-la.
Signale-la.

Et évidemment qu’elle attendait sans doute de voir qu’elle avait atteint son but en provocant ma colère, c’est toujours l’objectif des trolls. D’ailleurs je sais qu’on va me dire qu’en en parlant ici je lui fais plaisir. C’est probablement le cas, mais en fait, je m’en fous.

Je m’en fous parce qu’il n’est pas question d’elle, ce n’est qu’une femme bornée et malveillante, juste une Tatie Danielle de plus, avec une connexion internet.

C’est une question de principe.
Je me refuse à renoncer à répliquer, parce qu’à mon sens on ne doit jamais laisser passer ce genre de propos sans contradiction.
Et aussi parce que je crois que c’est important de mettre en évidence les insultes, les agressions du quotidien, à un moment où on nous dit régulièrement que ça n’existe pas, qu’il n’y a pas de LGBTphobie en France, surtout pas de lesbophobie. Qu’on voit des agressions partout, qu’on se victimise.
Cette femme s’est sentie libre d’insulter mes enfants : c’est un fait, pas une vue de l’esprit.

Pas question de la bloquer, non plus, parce que certes je ne le verrais plus, ça ne me heurterait plus directement, ça serait sûrement plus confortable, mais se cacher la tête dans le sable n’a jamais fait disparaître l’ennemi.
On peut choisir de faire comme si, pour se protéger, parce que les violences de 2012-2013 ont laissé des traces et que personne n’a envie de s’y replonger. On peut se retirer de la bataille, se contenter des miettes qu’on nous distribue au compte-goutte en guise d’égalité, protéger au mieux sa propre famille, et fermer les rideaux pour ne plus voir, mais au dehors, rien ne s’arrête.

La paix ne se déclare pas de façon unilatérale.
Moi, l’ennemi, je préfère savoir où il se trouve, connaître ses angles d’attaque, et même si j’y perd du temps et de l’énergie, je préfère connaître ses arguments pour les démonter point par point.
Donc je lis et souvent je réponds, même si je sais qu’il est vain d’espérer inculquer le respect de l’autre à ce genre de personnes, je réponds pour le principe de ne pas laisser passer sans réagir.

Là, face à l’insulte, j’ai préparé une réponse, construite, argumentée comme je les aime (et vachement trop longue, comme ce post, parce que je suis pas bien formatée pour les réseaux sociaux).
Et puis… Rien.
Il n’y avait plus rien à quoi répondre : sous ma photo il n’y a plus rien.
Son commentaire a été signalé par d’autres comme le message de haine qu’il était, alors il a été effacé, tout simplement, et tous les autres commentaires avec lui.

Cette femme a insulté mes enfants, mais je ne peux plus m’en plaindre, je ne peux plus l’exposer.
Abracadabra, un petit clic et pouf, tout a disparu.
Comme si elle n’avait rien fait.

Mais si, elle a fait.

Et même effacés, je continue à voir ces mots, sous cette photo banale de mon petit déjeuner.
Sous la photo de ma jolie tasse à thé que j’aime tant, achetée il y a quelques années à la boutique de cette même assemblée nationale où on discute de l’opportunité de m’accorder les mêmes droits d’accès aux techniques médicales que si j’avais été hétéro, et de la nécessité d’un régime de filiation différent pour nos enfants, parce qu’il ne faudrait pas trop d’égalité quand même. Où on s’accorde à ne surtout pas donner de droits aux personnes trans. Où on nie les mutilations génitales que subissent les enfants intersexes. OKLM, comme disent les djeuns.

Ma jolie tasse, où on peut lire les premiers mots de la déclaration des droits de l’homme :
Tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droit.